L'Université Populaire du Cinéma, issue de la collaboration entre la Cinémathèque et l'Université du Luxembourg, propose cette année un nouveau cycle consacré aux genres du cinéma : Du Mélo au Western spaghetti.
J'ai eu la chance de pouvoir acquérir cette année un pass me permettant d'accéder à l'intégralité du cycle.
Je posterai mes notes sur le blog pour chacune des leçons.
La leçon inaugurale a consisté en une conférence du professeur américain Rick Altman intitulée "Les genres au cinéma : mode d'emploi".
Rick Altman
LES GENRES AU CINEMA
Cinémathèque du Luxembourg
24 octobre 2011
PREMIERE PARTIE : LES GRANDS MOMENTS DE LA THEORIE DES GENRES LITTERAIRES
Les fondations classiques
Les premières allusions à la notion de genre viennent des origines du monde littéraire.
Ainsi, Aristote dans sa Poétique évoque le genre comme une donnée naturelle et évidente : la tragédie d'Euripide, la comédie, l'épopée...
Horace dans Ars poetica va jusqu'à donner des leçons de genre aux poètes.
Chaque oeuvre doit appartenir et honorer les principes d'un genre bien défini et reconnaissable.
Il convient de ne pas “mélanger les genres”.
Le néo-classicisme de la Renaissance
La Renaissance ressuscite les classiques dans toutes ses dimensions : philosophie, esthétique, narration générique.
De Castelvetro au Tasse, de Scaliger à Boileau, de Dryden à Pope, le genre apparaît de nouveau dans sa pureté originelle.
L'approche romantique
Le romantisme de Schlegel à Stendhal (Racine et Shakespeare) ou Hugo (préfaces à Cromwell et à Hernani) présente une approche nouvelle en permettant une certaine fluidité entre les genres.
L'approche “scientifique” de Brunetière (Evolution des genres)
A l'opposé, Brunetière avance une théorie scientifique du genre.
Il est possible de classer les oeuvres par genres, comme l'on classe les animaux par espèces.
Espèces et genres évoluent tous deux dans une dynamique darwinienne.
DEUXIEME PARTIE : LES FONDATIONS DU GENRE AU CINEMA ou LES EVIDENCES
Rick Altman articule 8 propositions pour montrer à quel point la notion de genre s'impose à tous comme une évidence.
1) Le sens du mot “genre” est clair et net
Il n'est point besoin d'expliquer ce qu'est le genre car la signification du mot est connu de tous et utilisé dans le langage courant. Ne dit-on pas : “ce n'est pas mon genre?”...
2) Les genres sont définis par l'industrie cinématographique
3) Les genres sont transhistoriques, à l'image du western ou de la comédie musicale
Quoi de plus reconnaissable à travers les âges qu'un western, peuplés d'indiens sanguinaires et de cow-boys courageux, ou qu'une comédie musicale enveloppée de danses et de mélodies?
4) L'éventail des genres ne change guère
Il existe certes de multiples sous-genres. Néanmoins, on peut facilement regrouper les films autour de quelques genres principaux parmi lesquels on peut citer le film fantastique, politique, le mélodrame, le western, la comédie musicale, le film d'amour...
5) Chaque film appartient entièrement à un seul genre
Quel rapport entre un film de kung-fu et un film de zombie?
Comment un péplum pourrait rencontrer le monde du western?
6) L'appartenance d'un film à son genre est permanente
A sa sortie, un western est parfaitement identifié comme tel.
Si on revoit ce film 30 ans plus tard il sera toujours un western!
7) La liste des films appartenant à un genre est évidente et invariable
8) Les genres sont reconnaissables au trait unique qui les définit
Le western est caractérisé par ses indiens et ses cow-boys.
La comédie musicale par ses hommes et femmes séduisants qui dansent.
TROISIEME PARTIE : LA COMPLEXITE DES GENRES, UNE NOUVELLE APPROCHE
Dans cette troisième partie, Rick Altman s'attache à démonter ou relativiser les affirmations précédentes permettant d'enrichir la notion du genre au cinéma.
1) Le sens du mot “genre” est multiple et difficile à définir
a) le genre comme recette qui précède et qui programme la production
Le genre est ici vu comme une liste d'ingrédients types.
Si je veux produire un western, j'ai besoin de chevaux, de cuir, de revolvers, d'une confrontation et de grands espaces extérieurs. Je mixe le tout, et j'obtiens un bon film.
b) le genre comme structure des films individuels
Ce que les anglo-saxons appellent le “road-film”.
Le genre est ici défini comme une succession d'évènements.
Par exemple, le western peut être caractérisé par une séquence d'étapes classiques : arrivée d'un cow-boy solitaire dans une communauté isolée / histoire d'amour / affrontement final avec le despote local... ou poussée vers l'ouest de braves pionniers / confrontation avec des indiens sanguinaires / débarquement de la cavalerie...
c) le genre comme étiquette nommant une catégorie employée par les exploitants
Selon cette proposition, la notion de genre est utilisée pour servir les intérêts de l'industrie cinématographique. Si pendant quelques années, les aventures d'un petit sorcier à lunettes ou l'épopée de personnes de petite taille aux pieds poilus semblent faire du chiffre, les producteurs vont dès lors s'efforcer de sortir des films appartenant au genre de (Percy Jackson...) ou de l'heroic fantasy (Eragon...).
d) le genre comme contrat entre chaque film et son public
Dans le générique du film Top Hat (1935), on voit immédiatement des jambes danser.
Le spectateur vient pour voir une comédie musicale, et une comédie musicale contient de la danse et de la musique.
D'emblée, le film s'inscrit dans son genre, en proclame ses clichés, pour garantir que les attentes du public seront comblées.
2) Les genres sont créés et modifiés par la critique
Les termes de comédie musicale, de film noir ou de "chick flick" (films destinés au public jeune et féminin) sont nés sous la plume des critiques et dans un sens péjoratif.
Ainsi, le terme de "chick flick" signifie littéralement "film de poulette" ou de "poussin", que l'on peut aussi traduire en "film cul-cul".
Le film noir a été utilisé pour la première fois par le critique français Nino Frank, par assimilation à la Série noire.
Avant ces injures, ces films n'étaient pas identifiés comme appartenant à un genre en particulier.
3) Les genres sont durables, mais historiques
Le mélodrame était initialement employé pour désigner des films d'action destinés à un public masculin.
La comédie recouvrait au départ un genre littéraire (l'histoire d'un personnage principal qui après des débuts difficiles se termine par une fin heureuse) et stylistique (oeuvre écrite en langage médian) fort différent de son pendant cinématographique.
Le western tel qu'on l'envisage aujourd'hui est également une invention assez tardive, comme le montre The Great Train Robbery (Porter/Edison 1903), considéré comme le premier western.
Revolvers, braquage, cavaliers et grands espaces, tous les éléments du genre sont présents.
Et pourtant, le genre du western fut inventé bien plus tard.
The Great Train Roberry était initialement considéré comme un film de voyage (les trains étant fort à la mode à l'époque) et un film de "crime violent". Le film n'a d'ailleurs pas été tourné dans l'Ouest américain mais dans les forêts du New Jersey.
4) L'éventail des genres change constamment
On oublie trop vite les genres à succès modeste (films de base-ball, comédie collégienne, mélodrame maternel, film de cap et d'épée...).
5) Tout film offre les caractéristiques de plusieurs genres
Les affiches ciblent souvent trois publics différents : hommes, femmes, tertium quid (enfants et troisième âge) et invoquent pour ce faire des genres complémentaire.
Cocktail (Donaldson 1988) est à cet égard un exemple intéressant.
Rick Altman a retenu ce film pour illustrer son cours. Ce choix s'explique par une anecdote vécue par un collègue du conférencier. L'une de ces étudiantes lui remit des notes de son père avant la sortie du film détaillant la stratégie publicitaire conçue pour promouvoir le film.
L'approche retenue consista à monter des bande-annonces spécifiques pour chacun des publics visés.
Il est vrai que Cocktail est représentatif du film multi-genre puisqu'il combine 4 genres :
- "Success is not enough" : le mélodrame qui alterne scènes de bonheur et de détresse où le pire risque toujours de triompher,
- "Like brothers" : le buddy film qui associe deux hommes dans des dynamiques d'amitié/rivalité ou de filiation,
- "Saturday Night Fever" ou le Bildungsroman. Ce genre s'inspire du roman d'apprentissage qui illustre la maturation du personnage qui traverse des obstacles et des épreuves pour en tirer une leçon,
- "Tom Cruise/Romantic Drama". Cocktail mise bien évidemment sur le physique de Tom Cruise et sa popularité auprès du public féminin dans les années 80.
6) Tout film étant multigénérique, son identité générique est susceptible de changer.
Selon le public concerné, les rapports génériques enclenchés vont différer.
The Great Train Robbery n'est pas né western, il l'est devenu.
7) La liste des films appartenant à un genre est toujours double et donc trouble
8) Les genres dépendent toujours d'une combinaison de sémantique et de syntaxe
Rick Altman conclut que comme pour une langue, la beauté du genre est autant une affaire de sémantique (éléments) que de syntaxe (disposition des éléments).
Rick Altman est professeur au Département de cinéma et littérature comparée à la University of Iowa. Il s'intéresse à la narratologie, à la théorie des genres et au cinéma américain. Il se consacre actuellement à deux grands projets de recherche: celui de repenser l'histoire du cinéma américain dans la perspective du son plutôt que de l'image (esthétique, technique, technologie, théorie) et celui de théoriser à nouveau la notion de genre telle qu'elle a été employée pour parler du cinéma américain.
Prochaine leçon : le film noir (Lundi 31/10/11).
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