Et pour quelques cadavres de plus : le Western Spaghetti
par Paul Lesch (assistant professeur associé en histoire du cinéma, Université du Luxembourg)
Cinémathèque du Luxembourg
27 février 2012
Cette conférence s'inscrit dans le cycle "Du Mélo au Western Spaghetti : Tous les genres du cinéma en 10 leçons" de l'Université Populaire du Cinéma.
1. Le Western est partout
Qui dit genre dit stéréotype, cliché.
Le virevoltant (cette étrange plante en forme de boule qui roule sur le sol), le décor d'une ville du Far West à la fin du 19e, un duel au revolver, des habits de cow boys... il suffit d'un seul de ces éléments pour caractériser le Western.
Un cadrage expressif, des tronches pittoresques ou des bruitages prononcés... et nous voici du côté du Western Spaghetti.
Tous ces codes sont immédiatement reconnaissables et le western italien, mort à l'écran, survit toujours sous forme de citation dans la culture populaire : Bandes dessinées (Blueberry, Lucky Luke), jeu vidéo...
Le cinéma américain contemporain cite et parodie constamment le western de Leone (Back to the future 3, Face Off de John Woo...).
Tarantino est sans doute le plus grand fan de Leone et du western en général qu'il cite abondamment dans Kill Bill.
Ainsi dans Kill Bill 2, la séquence en noir et blanc illustrant la rencontre de The Bride avec Bill est une référence visuelle directe à la scène d'ouverture de The Searcher de John Ford.
La scène contient également une référence auditive au travail de Leone puisque la musique utilisée lorsque The Bride retrouve Bill est la même que celle jouée par le personnage de Serenza (Lee Van Cleef, la Brute) lors de sa première apparition dans Le Bon, la Brute et le Truand (Il Tramento d'Enio Morricone).
2. L'âge d'or du Western spaghetti
Plus de 450 Westerns Spaghetti ont été tournés entre 1963 et 1978.
La plupart sont de médiocres factures, seuls 10% d'entre eux peuvent être considérés comme des Quality Westerns.
Le maître du genre est incontestablement Sergio Leone.
Pourtant, les premiers européens à produire du Western Spaghetti sont les allemands avec la série des Winnetou (1962).
Adaptés des romans de Karl May, ces westerns mettent en scène les aventures de l'indien Apache Mescaleros, incarné par l'acteur français Pierre Wiss, entourés de comédiens américaines et anglais, et sont tournés en Yougoslavie.
Le grand succès de cette série créent les conditions économiques favorables au développement du Western en Europe, qui prennent le relais du péplum déclinant dans les studios italiens.
Après une grande série de navets, le premier film de Sergio Leone, Pour une poignée de dollars (1964), rencontre un succès commercial et critique inattendu.
Pour ce film, Leone a transposé dans le Far West un film de samouraï de Kurosawa (Yojimbo, 1961), inspiré du roman La Moisson Rouge de Dashiell Hammet (grand maître du roman noir américain) qui s'était lui-même inspiré d'un roman du XVIIIème siècle de Goldoni (Arlequin, serviteur de deux maîtres).
Les extraits suivants montrent à quel point le western de Leone est un remake du film japonais de Kurosawa.
La scène du cercueil :
Commande de cercueils !, extrait de Pour une poignée de dollars
Le Duel final :
Duel final, extrait de Pour une poignée de dollars
Pour une poignée de dollars fait partie de la Trilogie du dollar, complétée par Et pour quelques dollars de plus (1965) et Le Bon, la Brute et le Truand (1966).
Leone réalise également Il était une fois dans l'Ouest (1968), avec Charles Bronson.
Tourné partiellement aux Etats-Unis à Monument Valley dans un paysage typiquement fordien, il peut être vu comme un pont entre le western spaghetti et américain.
L'âge d'or se clôt par Mon Nom est Personne de Tonino Valerii, ex-assistant de Leone.
Avec cette réflexion ludique sur le western italien, le genre commence à sombrer dans la décadence et l'auto-parodie, jusqu'à la série des Trinita dans les années 70.
3- L'héritage du western spaghetti
Le western spaghetti a longtemps été conspué pour son maniérisme, son goût pour le baroque et la violence de ses films par-rapport au genre noble du western américain.
Les inventions de Leone interviennent à la fois dans le décor, les formes (le plan, le montage, la musique) et le discours idéologique.
Le cadre du western spaghetti
Le western spaghetti ne met pas en scène de caravanes, de troupeaux, de fermiers, de diligences ou de cow-boys.
Le but n'est pas d'illustrer le mythe fondateur des origines de l'Ouest américain.
La mythologie du western classique disparaît au profit de symboles et d'accessoires portés par les personnages mus par leurs seuls intérêts égoïstes : gilet en mouton, poncho (porté par Eastwood pour cacher son allure fluette), longs manteaux et cigarillo...
Le Western spaghetti, genre cynique
Dans le western spaghetti, et contrairement à son ancêtre américain, la différence entre le bon et le méchant n'est jamais clairement établie.
Le Bon est simplement moins méchant que le grand méchant ; tout le monde est un peu bon, brute et truand.
Le héros est incarné par un mercenaire, mal rasé, violent, cynique et égoïste, par opposition au cow-boy chevaleresque du western classique.
Le matérialisme succède à l'idéalisme et au civisme.
La recherche d'argent ou la vengeance constituent les principales motivations des personnages.
Mystérieux et taciturne, le héros tue froidement ses opposants, ce qui était nouveau pour l'époque.
On tue sans remords, même un homme sans défense.
La violence est omniprésente à travers des exécutions sommaires, des pendaisons, le passage à tabac, voire la torture ornée de sadisme.
Mystérieux et taciturne, le héros tue froidement ses opposants, ce qui était nouveau pour l'époque.
On tue sans remords, même un homme sans défense.
La violence est omniprésente à travers des exécutions sommaires, des pendaisons, le passage à tabac, voire la torture ornée de sadisme.
Parfois, au détour d'un scène, le héros peut faire preuve d'un peu d'humanité et de compassion.
Dans Le Bon, la Brute et le Truand, Eastwood offre son cigare et son manteau à un homme agonisant (à la fin de l'extrait ci-dessous) ou se prononce contre la Guerre de Sécession ("Je n'ai jamais vu mourir tant d'imbéciles, et si mal").
Dans Le Bon, la Brute et le Truand, Eastwood offre son cigare et son manteau à un homme agonisant (à la fin de l'extrait ci-dessous) ou se prononce contre la Guerre de Sécession ("Je n'ai jamais vu mourir tant d'imbéciles, et si mal").
Les Indiens et les figures féminines sont quasiment absents, à quelques exceptions près où la femme représente l'espoir, le futur, la civilisation.
Une nouvelle esthétique
La musique joue un rôle central dans le genre, ce qui constitue une nouveauté pour le cinéma.
Quelques mots suffisent pour situer ou souligner une situation.
Les trois protagonistes du Bon, La Brute et le Truand ont chacun un bruit qui les distingue.
Le western spaghetti utilise de nombreux instruments originaux et est truffé de bruitages insolites mêlés de voix humaines.
Les 10 premières minutes d'Il était une fois dans l'Ouest sont ainsi constituées uniquement de bruitages amplifiés.
La cadrage se caractérise par une succession de gros plans et de plans très larges, voire panoramiques, illustrant les émotions des personnages.
Par-rapport au western classique, le genre italien repose beaucoup plus sur les gros plans qui insistent sur quantités de détails (les visages, le regard, le rictus, les armes, les vêtements) pour illustrer les motivations égoïstes des personnages.
Le western fordien met en valeur la majesté des paysages et englobe l'action de ses héros dans un grand tout mythologique d'une Conquête de l'Ouest qui apporte la civilisation dans un monde de sauvagerie par la pose du télégraphe, le développement du chemin de fer, la lutte contre les Indiens.
Dans le western spaghetti, l'espace est beaucoup plus fermé, le monde a déjà été entièrement envahi par les hommes. L'action des milices, de la révolution, des conflits collectifs et leurs conséquences dramatiques (Le Bon, la Brute et le Truand se déroule en pleine Guerre de Sécession et montre un camp de concentration nordiste évovcateur des camps nazis) sont bien présentes.
Le western italien met ainsi en scène la fin du mythe de l'Ouest américain et la naissance d'une Amérique moderne mue par l'affairisme, la corruption et les intérêts individuels.
Le montage aussi est marqué par de forts contrastes, alternant lenteur solennelle et séquances d'actions très rapides.
La séquence du duel à trois du Bon, La Brute et le Truand dans l'arène du cimetière est symbolique du genre.
Au départ, le montage est lent.
Le choix du cimetière est chargé d'ironie. Le plan est large.
La musique de la montre suspens le temps et l'action.
En quelques sorte, on mime par des poses caricaturales la geste chevaleresque du western classique.
La musique de la montre suspens le temps et l'action.
En quelques sorte, on mime par des poses caricaturales la geste chevaleresque du western classique.
On passe ensuite à un gros plan sur les pistolets, les tronches et les regards.
Les bruitages se succèdent, les gestes sont encore lents.
Enfin, l'image, centrée sur Eastwood, s'accélère avec la musique.
On passe au très gros plan et le duel se conclue.
Indéniablement, Leone a innové et modernisé le cinéma en général avec des motifs, des conventions et des codes qui se sont disséminées dans tout les films contemporains.
Hello, article encore très intéressant!
RépondreSupprimerActuellement j'ai été a l'avant première du nouveau Tarantino "Django unchained", superbe film! Je te le conseille!
A bientôt
Merci!
RépondreSupprimerOui Django est sur ma liste, avec The Master, Hannah Arendt, Zero dark thirty et Amour.
Y a de quoi voir en ce moment.
Tu vas à la conférence de la Cinémathèque demain?