Rork Tome 1 / Fragments (couverture) |
T1 : Fragments
Le premier tome des aventures de Rork se distingue par sa structure. Il se présente comme un recueil de petites nouvelles graphiques autonomes. En effet, Rork n'était pas initialement conçu comme une série ni même comme un album cohérent. Andreas travaillait pour la revue Tintin/Hello BD à qui il livrait les aventures fantastiques de Rork à un rythme irrégulier de 1978 à 1980.
Les premières histoires de Rork seront finalement regroupées dans le bien nommé album Fragments en 1984.
Un recueil de nouvelles lovecraftiennes
Fragments rassemble ainsi "Un Siècle pour une Maison" dans laquelle Rork rencontre le jeune écrivain Bernard Wright (allusion au dessinateur de comics Bernie Wrightson qui réalisa l'illustration mythique d'un Frankenstein et dont les gravures en premières pages sont une référence directe, de l'avis même d'Andreas) confronté à une mystérieuse menace.
Bernie Wrightson // Frankenstein |
Dans l'épisode "Point Fatal", Rork rejoint son ami Adam Neels (en hommage à Neal Adams, autre dessinateur inspirant Andreas) qui lui dévoile sa découverte (comment trouver le point fatal de chaque sphère permettant de la faire éclater d'une simple pression).
Dans "La Tâche", Rork est confronté pour la première fois à une créature extraterrestre assez mal intentionnée.
Rork fait ensuite la connaissance d'une mystérieuse jeune femme qui a perdu la mémoire sous l'effet d'une force tellurique dans "Low Valley" (qui devient son nom) et qui se révèle dotée de puissants pouvoirs télékinésiques ("Fragments").
La Tâche extraterrestre s'empare de l'esprit de Miss Deliah Darkthorn ("Le Retour de la Tâche") , le véritable nom de Low Valley, et entraîne "Rork à New York" dans le dernier épisode de l'album, qui se révèle un traquenard (a priori) mortel pour notre étrange enquêteur.
Dans ce premier tome, on apprend très peu de choses sur le personnage de Rork lui-même, son histoire, sa formation, ses motivations profondes. On comprend simplement qu'il s'agit d'un personnage empli de mystères et de connaissances ésotériques, avides de résoudre les énigmes, et dont l'existence est connue de forces puissantes et invisibles (c'est à l'aide de Rork qu'ont fait appel la civilisation aquatique d'"Un Siècle pour une Maison").
Rork Tome 1 / Fragments (Un Siècle pour une Maison) |
Néanmoins, Fragments préfigure quelques éléments structurants de la série Rork.
Au niveau du scénario, on retrouve l'influence de Lovecraft et Poe dans le goût pour l'horreur et le fantastique.
L'épisode "Low Valley" marque une évolution dans le style graphique d'Andreas. Le trait et les coloris s'affinent.
On commence à percevoir le talent d'Andreas, qui prendra toute son virtuosité dans les albums suivants, pour structurer les pages.
Andreas aime truffer ses images d'éléments secrets qui ne peuvent être découverts qu'après plusieurs relectures.
Dans "Point Fatal", en page 23, dans la case qui décrit dans une vue d'oiseau l'attaque du repaire de Neels par les villageois, on découvre que la maison est soutenue par un dispositif aérien de câbles destinés à soulager la pression sur ses fondations (le chercheur croit qu'il a établi son laboratoire sur le Point Fatal de la Terre).
Sur la page suivante, lorsque Rork évoque la puissance des forces qui menacent la planète, on aperçoit dans le ciel étoilé un point bleu qui évoque le vaisseau qui a préalablement bombardé le domicile de Neels.
De plus les trois derniers histoires sont connectées et la "conclusion" du dernier épisode est une invitation claire à la poursuite de la série.
Rork Tome 2 / Passages (couverture) |
Tome 2 : Passages
Passages est le miroir autant que la suite de Fragments.
Des réponses et des questions
Contrairement au précédent opus, Passages est conçu comme un véritable album, cohérent et linéaire.
L’enquête du détective privé Raffington Event (qui dispose de sa propre série chez Andreas) sur la mort de Rork est le prétexte à une série de flash-back qui raconte la vie du héros jusqu’à sa « disparition ».
L’album est balisé d’étapes qui répondent aux questions non résolues sur les motivations de Rork posées par les nouvelles de Fragments et est organisé pour relier les intrigues et les personnages en un flux cohérent.
La scène finale rassemble d’ailleurs tous les acteurs du premier tome autour du personnage central.
On découvre ainsi l’origine super-naturelle de Rork (p. 16 : l'apparition de Rork, p. 50 : "Imaginez seulement : un homme d'apparemment 30 ans mais qui en a 300!", p. 20 : son don de prescience...).
Son intelligence et sa curiosité hors du commun lui ont valu d’être initié à de multiples secrets ésotériques par Tanemanar (le Maître des Rêves) et surtout au secret des Passages qui lui permet d’accéder à des mondes parallèles.
Néanmoins, il n’a le droit d’utiliser ce pouvoir qu’une seule fois, au risque de subir les foudres de Pharass, le gardien du Passage.
On apprend que Rork a échappé à l’attentat de la fin de Fragments en utilisant ce pouvoir pour la seconde fois.
En effet, dans une précédente aventure qui nous rappelle l’ambiance du premier album et fait intervenir le personnage de Bernard Wright, Rork fut contraint de migrer vers un autre monde afin d'échapper à une mort atroce.
Dès lors, il est traqué par Pharass.
Personnage intéressant que ce gardien du passage qui est le miroir inversé de Rork. Il a le cheveu aussi noir que la chevelure de Rork est blanche. A l’inverse, il est tout vêtu de blanc tandis que Rork s’habille en noir.
S’il se range dans le camp des méchants (il a organisé l’incendie de la maison d’enfance de Rork), son rôle est assez ambivalent. C’est lui qui libère Miss Deliah Darkthorn et Ebezener de l’influence maléfique de la Tâche et ses intentions à l’égard de Rork sont motivées par des considérations assez nobles (il craint que les pouvoirs de Rork ne nuisent à l’équilibre du monde).
Au final, on comprend que l’utilisation d’un Passage par Rork a conduit à déséquilibrer un univers parallèle et que le corps et l’esprit du héros sont restés en suspens entre la Terre et tous les mondes parallèles.
Tous les héros des Fragments se rassemblent autour du corps en lévitation de Rork.
Passages offrent donc beaucoup de réponses sur le personnage de Rork (son enfance, son initiation à l’ésotérisme, sa nature surhumaine, ses pouvoirs) mais ne dévoile pas l’essentiel : l’origine du héros (qui sont ses parents ?) et son destin (comment et pourquoi est-il sur Terre) ?
Pour conclure, on peut dire que l’apport principal de cet album est de donner une cohérence à la saga Rork en reliant les intrigues et les personnages et d’ouvrir une perspective sur la suite de la légende.
Le style Andréas
Il faut aussi noter la montée en puissance de la signature graphique d’Andreas.
Dans un style cinématographique, il invente en permanence des découpages de planches pour dynamiser l’action (pp. 26) ou entretenir le suspense (p. 48).
Le jeu sur les couleurs est inventif.
Les rêves ultra-colorés de Rork enfant en pp. 17-18 sont ultra-colorés pour souligner leur fantasmagorie tandis que l'histoire sur la disparition de Bernard Wright ne repose que sur une gamme chromatique très limitée qui renforce l'effet flash-back de l'histoire et son caractère oppressant autant que le réalisme de la séquence suivante relatant l'évasion de Rork.
Dans le Cimetière des Géants, Andreas retire des couleurs (pp. 26-28) à mesure que Rork s'enfonce dans le monde parallèle avec son passeur.
Cet épisode où Tanemanar initie Rork au secret des Passages offre une belle illustration de la maîtrise d'Andreas.
La page 24 est composée de 6 cases verticales disposées les unes à côté des autres, occupant toute la page.
On démarre au-dessus de Rork et son maître. A mesure qu'ils s'enfoncent dans la forêt, on s'approche d'eux, puis on s'en éloigne de nouveau, et on finit par se retrouver très en deçà des deux personnages.
La page dessine donc deux diagonales. La caméra descend de l'extrême haut/droit vers l'extrême bas/gauche tandis que les personnages suivent les extrêmes inverses à mesure qu'ils évoluent dans la forêt.
Rork Tome 2 / Passages (page 42) |
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