mercredi 4 septembre 2013

Tout le langage du cinéma : La Musique (Leçon 7)

Mélodies, chansons & émotions : les musiques du cinéma

par Gilles MOUËLLIC (professeur d’études cinématographiques et musique, Université Rennes 2).

Cinémathèque du Luxembourg

29 avril 2013


Cet article est un compte-rendu de la 7ème leçon du cycle consacré au langage du cinéma.

J'ai ajouté quelques paragraphes et extraits issus de recherches personnelles.


1. Du muet au parlant

L'histoire de la musique de film est aussi ancienne que le cinéma lui-même.

Dès les premières séances des Frères Lumière, les films sont accompagnés d'une musique au piano.

Initialement, la présence de cette musique a des raisons plutôt prosaïques telles que rassurer les spectateurs qui a peur du noir ou couvrir le bruit du projecteur de cinéma.

De plus, la musique a l'avantage de donner une temporalité aux films muets.

Rapidement, les spectateurs se plaignent de cette musique conçue comme un simple appoint.

En effet, les pianistes jouaient les partitions qu'ils maîtrisaient sans tenir compte de l'action projetée.

La nécessité de lier la musique et l'image fait donc très vite son apparition.

Dès les années 1905-1910, les producteurs de films adjoignent dans les bobines distribuées aux salles de cinéma des propositions de partition pour accompagner les films.

Dans son Guide musical Gaumont, le directeur musical du Gaumont Palace, Paul Fosse, consigne avec précision toutes les musiques à interpréter par l'orchestre suivant l'action des films.

Le cinéma est un art technique et la technologie s'intéresse rapidement à la problématique de la synchronisation entre image et son.

Beaucoup de tâtonnements seront nécessaires jusqu'au premier film parlant, Le Chanteur de Jazz en 1927, combinant projecteur et gramophone.




Le film, s'il ne contient en réalité que 2 mn de paroles, représente une métaphore de la transition du cinéma vers le parlant.

Tout d'abord, le film semble impressionner par sa propre audace.

Au tout début de la séquence, lorsque le chanteur converse à sa mère, il s'accompagne d'une main au piano, comme si la parole ne pouvait se suffire à elle-même.

Ensuite, les personnages incarnent des figures symboliques face à l'évolution du cinéma.

La mère est séduite par le son et la parole, tandis que le père, juif orthodoxe qui avait déjà chassé son fils du foyer familial pour avoir chanté dans un bar, interrompt de nouveau le chanteur par un "Stop" catégorique (0:51).

Symboliquement, le film bascule alors de nouveau vers le muet.

Le succès du Chanteur de Jazz enclenche la diffusion de cette révolution technologique dans le monde.

Toutes les salles cherchent à s'équipent du matériel permettant la diffusion du son, ce qui génère de nouveaux défis économiques et techniques pour l'industrie du cinéma : équipement des salles, non-universalité du parlant (traduction des dialogues), gestion du bruit du projecteur, sous-performance des micros...


2. Le parlant

La Comédie Musicale devient l'emblème de ce nouvel âge d'or du cinéma et coïncide avec les désirs d'une Amérique qui cherche à surnager en pleine Grande Crise.

C'est notamment la grande époque de Fred Astaire (cf l'extrait ci-dessous du numéro de claquettes avec Ginger Rogers dans Top Hat (1935)).



Dans Top Hat, Astaire fait référence aux maîtres noirs du Tap dance.

Les claquettes sont intimement liées à l'histoire de l'Amérique et au jazz.

Ainsi, les prémices des claquettes viennent des techniques de communication employées par les esclaves  importés en Amérique pour communiquer entre eux.

Le mélange de la gigue irlandaise et de la danse africaine donne naissance au Tap dance moderne.

Ce dernier se développe particulièrement dans les années 1920 avec l'apparition du jazz dont la musique s'accorde au rythme des claquettes.

Astaire a assisté aux performances des premiers maîtres du Tap dance tels que les frères Nicholas ou Bill Robinson, auquel il rendra hommage dans Swingtime.

Fred Astaire évoquant Bill Robinson // Swingtime
(Everett Collection)

Bill Robinson // The Big Broadcast of 1936
(Everett Collection)

Le jazz est une création des noirs américains et il est surprenant de ne pas les retrouver dans les Comédies musicales de l'époque.

C'est que l'Amérique est encore très ségrégationniste.

Même à l'époque du Cotton Club, les Noirs font le spectacle mais ne sont pas autorisés à y assister en tant que spectateur.

Au sud des Etats-Unis, on ne souhaite pas voir de Noirs à l'écran : les films sont remontés pour éliminer toute scène susceptible de les mettre en scène.

C'est pourquoi même lorsque les films sont tournés dans le Nord, les Noirs occupent des fonctions mais n'incarnent pas de rôles réels ce qui permet de les retirer facilement de l'écran.


Ci-dessous un numéro impressionnant des Nicholas Brothers dans Stormy Weather (1943), un des premiers films mettant en scène des musiciens et danseurs afro-américains dans leur propre rôle.



3. Symphonisme hollywoodien et musique impressionniste : des musiques pour l'image

Le symphonisme hollywoodien

De nombreux compositeurs européens, notamment germaniques, ont rejoint l'Amérique, motivés par la menace nazie ou le développement de leurs carrières.

Ces artistes importent leurs goûts pour l'opéra européen postromantique qui donnera naissance au symphonisme hollywoodien.

Ce courant musical majeur du cinéma se caractérise par le synchronisme de la musique avec les images et par une volonté de mettre en valeur les sentiments représentés à l'écran.

Parmi eux, des compositeurs comme Max Steiner, élève de Brahms et de Malher, qui illustrera de sa musique des classiques tels que King Kong (1933), Casablanca (1942) ou Gone with the Wind (1939).




Le leitmotiv wagnerien est un motif structurant du symphonisme hollywoodien.

Il consiste en un thème musical récurrent correspondant à un lieu, un personnage ou une action particulière, qui donne une dimension dramatique au film.

Par exemple, Casablanca met en scène plusieurs leitmotiv, dont le plus évident est le thème "As Time Goes By" (interprété par Sinatra) pour illustrer l'amour entre Rick (Bogart) et Isla (Bergman).



Cette musique apparaîtra à chaque rencontre des personnages (ou disparaitra dans les moments de tension), pour souligner leurs émotions.

Le leitmotiv wagnerien est abondamment utilisé dans Star Wars pour accompagner les principaux personnages ou les éléments narratifs récurrents (la Marche impériale, la Force, le Côté Obscur...).

Comme son nom l'indique, le leitmotiv wagnérien a été inventé par Wagner pour sa Tétralogie de l'Anneau du Nibelung qui révolutionna l'opéra pour en faire un "art total", préfigurant le cinéma.


Persistence du symphonisme hollywoodien

Certains codes du symphonisme hollywoodien classique seront recyclés dans le cinéma contemporain des années 70 à nos jours, dans un courant musical que l'on peut qualifier de néo-hollywoodisme, dont le leader est John Williams (grand fan de Steiner), compositeur entre autres des musiques de la série Star Wars (qualifiés également de Space Opera) ou des Dents de la Mer.




Autres représentants majeurs de ce courant : Jerry Goldsmith (The Omen, Planet of the Apes, Basic Instinct...), Franz Waxman (The Bride of Frankenstein, Rebecca, Rear Window), Maurice Jarre (Laurence d'Arabie, Docteur Jivago, Witness, Ghost)...




On peut rattacher à ce courant le lyrisme épique introduit par la musique du Seigneur des Anneaux par Howard Shore.




La bande son toute wagnérienne d'Inception de Hans Zimmer fait bien sûr partie de la bande.




L'impressionisme musical

Tous les réalisateurs n'aiment pas la musique considérée comme trop dirigiste au risque d'écraser l'image.

Certains l'excluent et ne font usage que du son, comme Renoir dans la Chienne ou Fritz Lang dans M Le Maudit.

Dans le Scarface original de Hawks, la première séquence du meurtre du Gros louis est soulignée par un simple sifflotement du gangster, avant et pendant l'exécution.

L'absence de musique signifie ici une volonté du réalisateur de ne pas surjouer l'effet dramatique par la musique mais aussi de montrer l'absence d'émotion du tueur, la gratuité d'un crime qui ne peut être figurée par une quelconque mélodie.

C'est l'insensibilité du mal qui est restitué par ce sifflement.

Idem dans M Le Maudit qui siffle à l'approche de ses victimes avant chacun de ses meurtres, comme pour signifier la pulsion de mort et de mal qui le submerge.




Pour autant, si la musique en tant que telle n'est pas employée, la bande-son dans toute sa profondeur est utilisée pour créer une continuité narrative, comme expliqué dans l'analyse de séquence ci-dessous:




Renouvellement

Dans les années 40 et 50, le classicisme hollywoodien est quelque peu bousculé par l'irruption du jazz.

Le symphonisme reste néanmoins très présents dans les films les plus mainstream.

Bernard Herrmann renouvelle le genre avec son travail sur les oeuvres d'Hitchcock.

En témoigne la noirceur de la musique accompagnant l'ouverture de Citizen Kane, son premier film hollywoodien, qui fait se succéder et s'imbriquer plusieurs thèmes illustrant le conflit entre l'enfance et l'âge adulte.




Hermann s'inspire de Debussy et de Ravel pour une musique impressionniste aux timbres très français.

La musique de film est également marquée, à la fin des années 40, par sa commercialisation auprès du grand public avec l'irruption des 33 tours.


4. La musique dans le cinéma français contemporain : vers un symphonisme intimiste ou l'art du compromis

Initialement, en France, on utilisait assez peu la musique classique hollywoodienne pour accompagner les films, car cette musicalité est associée à l'Allemagne, puissance ennemie.

On privilégiait plutôt une musique présentant moins d'ampleur, plus sensible au timbre des instruments.

Contrairement au style hollywoodien démonstratif, cette musique cherche à rendre « sensible le rythme interne de l’image sans pour cela s’efforcer d’en traduire le contenu sentimental ».

Pourtant, comme l'explique Cécile Carayol dans son essai Une musique pour l'image (Presses Universitaires de Rennes, Note 1), depuis la fin des années 1990, le cinéma français semble succomber au symphonisme hollywoodien à travers un retour à la tradition des mélodrames américains des années 30 à 50 (Angel, Huit femmes) ou l'assimilation des codes musicaux du néo-hollywoodisme (Les Rivières Pourpres, Nid de Guêpes…). 









Mais le plus original procède d'une tentative du cinéma d'auteur français contemporain d'opérer une synthèse entre le néo-hollywoodisme et la tradition de musique intimiste française dans ce que l'on peut nommer un symphonisme intimiste.


Je ne saurai mieux expliquer que Michel Chion : "Dans le cas présent, « symphonisme » retient des caractéristiques hollywoodiennes son utilisation d’un orchestre symphonique, une écriture harmonique postromantique et une musique qui développe une empathie émotionnelle avec l’action, tandis qu’« intimiste » s’inscrit davantage dans l’héritage de la musique du cinéma français avec une orchestration qui privilégie la « transparence » des timbres, un lyrisme peu expansif et des interventions musicales ponctuelles qui se détachent d’un synchronisme trop descriptif. « Intimiste » évoque également une concision et une forme d’épure qui se manifestent par l’intégration du minimalisme et par une colorisation instrumentale issue des techniques d’écriture impressionnistes. "

Pour illustrer le courant du symphonisme intimiste, on peut citer les partitions de Philippe Rombi pour les films de François Ozon comme Les Amants criminels (1998)... :






... Sous le sable (2000) ... :






... Swimming Pool (2002)... : 




... ou plus récemment Dans la Maison (2012) et Jeune et Jolie (2013) :









On peut également citer les compositions d'Alexandre Desplat pour Xavier Giannoli avec Les Corps impatients (2002) (à noter la musique de la bande annonce qui paraphrase Unfinished Sympathy de Massive Attack) ou pour Jacques Audiard avec Sur mes lèvres (2001) et De battre mon cœur s’est arrêté (2004) :













Le symphonisme intimiste accompagne subtilement l'intrigue de ces films centrés sur l'intériorité de personnages troublés par leur fantasmes, contribuant à créer un trouble entre le monde réel et l'imaginaire.



Note 1 : La préface écrite par Michel Chion pour l'ouvrage Une musique pour l'image aux Presses Universitaires de Rennes est un prolongement intéressant de cet article.
Je me suis inspiré de la table des matières de ce livre pour effectuer quelques recherches et compléter mon article

Note 2 : quelques films emblématiques dans l'utilisation du sifflement comme "musique de film".

Note 3 : deux liens vers des sites consacrés à la musique de film :
http://www.underscores.fr/
http://www.cinezik.org/index.php

dimanche 21 avril 2013

Philipp Keel's Simple Diary™






Une nouvelle vision du journal intime par Taschen.

Partie de campagne // Jean Renoir





Historique du film

Partie de campagne ou Une partie de campagne est un film de Jean Renoir tourné durant l'été 1936 (Note 1).

Il est une adaptation d'une nouvelle de Maupassant de 1881, qui fait partie du recueil de La Maison Tellier.

Le film n'est sorti qu'en 1946, suite à de multiples difficultés techniques, financières et humaines.

Si quelques plans ont été remplacés par des cartons, le montage final de 40 minutes est tout de même considéré comme une oeuvre achevée par le réalisateur et la critique.

L'équipe : une famille élargie

Partie de campagne parle de la famille, et c'est aussi un film de famille.

Au sens propre tout d'abord puisque Jean Renoir incarne le Père Poulain (Note 2), l'aubergiste qui accueille les deux canotiers et le dîner sur l'herbe de la famille Dufour.

Son fils Alain interprète le jeune garçon à la canne à pêche aperçu au début du film.

Marguerite, sa compagne qui est également la monteuse de ses films, tient le rôle de la servante dans l'auberge.

Au sens figuré, le film rassemble toute une communauté d'artistes autour de Renoir.

Parmi les assistants réalisateurs, on peut compter Luchino Visconti, Jean Becker ou Henri Cartier-Bresson.

Ce dernier fait également de la figuration comme séminariste aux côtés de l'écrivain Georges Bataille, l'époux de l'actrice Sylvia Bataille (qui deviendra la compagne de Jacques Lacan) qui interprète le personnage d'Henriette.

Partie de campagne // A droite Georges Bataille, figurant
Au centre Henri Cartier Bresson, assistant et figurant

Résumé

L'action se déroule durant l'été 1860. M. Dufour, un quincailler parisien, part en famille passer une "journée à la campagne", en compagnie de sa belle-mère, de sa femme, de sa fille Henriette et de son commis et futur gendre Anatole.
Ils font halte à l'auberge du Père Poulain pour un déjeuner sur l'herbe.

Henri et Rodolphe, deux canotiers, décident de courtiser Mme Dufour et Henriette.
Ils emmènent ces dames faire une promenade en barque.
L'audacieux Rodolphe entraîne la mère dans un fourré tandis qu'Henriette cède au timide Henri sur une île.

La pluie interrompt l'idylle naissante.

Plusieurs années plus tard, Henriette, mariée à Anatole, revient sur les lieux et croise Henri.

Mais que s'est-il passé entre Henriette et Henri?


Analyse

Derrière ses apparences de conte léger, d'abord champêtre et comique, puis franchement menaçant et dramatique, Partie de campagne est un film d'une grande richesse sur le plan du langage au cinéma. 

Chaque image révèle une dimension métaphorique, contient des symboles ou s'appuie sur une technique permettant d'y ajouter du sens et ouvrant la porte à de multiples interprétations.

Comme l'écrit un contributeur du blog Partie de campagne (Note 3), c'est peut être une définition de l'art (visuel) que de pouvoir construire à partir d'une image plusieurs significations.

Tentons d'illustrer la profondeur de ce chef d'oeuvre à travers 7 images.


1. Le trouble de la rivière

Le film commence par un trouble.

Dans les premières images, on ne sait pas si l'impression de mouvement se dégage du courant de la rivière ou de notre propre mouvement.

C'est un écho au trouble de la fin du film, lorsqu'Henriette recroise Henri
A-t-elle été violée?
Est-elle rongée par le regret d'avoir épousé Anatole plutôt qu'Henri?

Le paysage idyllique qui nous est présenté est rapidement cassé par le trait de la canne à pêche (de l'homme qui "drague"?) du jeune garçon (joué par le fils de Renoir lui-même) à qui la bande de parisiens demande son chemin.

La métaphore de la rivière continue d'être filée durant tout le film.

Henri tente de séduire Henriette sur une barque qui glisse sur l'eau.

Leur union sera conclue sur une île bordée par la rivière.

Après cette séquence, la tempête s'abat sur la campagne et la surface de l'eau est transpercée par les larmes de la pluie.

Enfin, lorsqu'Henriette retourne sur l'île avec Anatole, c'est sur une morne image du cours de la rivière que s'inscrit la phrase "Des années ont passé avec des dimanches tristes comme des lundis".




2. La fenêtre, mise en abime du regard

Les deux canotiers séducteurs assistent à l'arrivée de la bande dans le cadre d'une fenêtre, brillante métaphore de la mise en abîme cinématographique qui fait de nous tous des spectateurs voyeurs.

Partie de campagne // La fenêtre

3. La balançoire : l'enivrement des sens

La séquence de la balançoire de Partie de campagne est devenu un classique du cinéma français (Note 4).

Partie de campagne // La balançoire

Elle est citée dans de nombreux films tels que Cléo de 5 à 7 d'Agnès Varda, La Lune dans le Caniveau de Jean-Jacques Beineix ou Les Roseaux Sauvages d'André Téchiné.


Variations sur la balançoire // Cléo de 5 à 7
Variations sur la balançoire // La Lune dans le caniveau

Variations sur la balançoire // Les Roseaux Sauvages
La balançoire de Jean Renoir évoque bien sûr la balançoire du père, Jean-Auguste Renoir (Note 5).

La balançoire // Auguste Renoir

La scène évoque également Hasards heureux de l'escarpolette, le tableau de Fragonard.


Hasards heureux de l’escarpolette // Fragonard

Derrière la description naturaliste d'une scène galante, se cache l'affrontement entre deux symboles.  
Le chien qui aboie, en bas à droite de la toile, représente la fidélité.
Il répond au cupidon à la gauche du tableau, symbole d'infidélité.


La scène de la balançoire illustre l'enivrement, encore innocent, des sens d'Henriette au contact d'une nature idyllique.

La caméra, fixée sur la balançoire, nous entraîne dans le mouvement et encourage l'identification à la jeune femme.

La séquence préfigure également par le mouvement de va-et-vient ou le plan fixe sous les jupons d'Henriette, l'accouplement à venir avec Henri.

Henriette explique elle-même cette confusion des sens à sa mère, lors de la discussion sous le cerisier (11:10), en décrivant le sentiment océanique (la volonté de faire un avec le monde) qui la bouleverse.


4. Le satyre

Par delà la scène de la balançoire, Partie de campagne multiple les allusions sexuelles.

Certaines sont explicites et univoques, telles les poses faunesques de satyre de Rodolphe avec Mme Dufour.

Rodolphe satyre 1

Rodolphe satyre 2

D'autres plus subtiles font appel aux techniques du cinema. Ainsi, lorsque Rodolphe entraîne Mme Dufour dans un fourré, leur course est accompagnée d'un travelling soulignant la consommation du désir (32:49).


5. Rayures contre rayures

Renoir aime mettre en scène dans ses films le combat entre l'ordre et le désordre.

La lutte entre l'ordre bourgeois et l'anarchie prolétaire, la tentation de la liberté et le contrôle de  l'autorité parentale et sociale s'incarne parfaitement dans le personnage d'Henriette.

Lorsque nous faisons la connaissance des deux canotiers, Henri semble prôner la prudence.
Il tente de raisonner les pulsions séductrices de Rodolphe.

Ce dernier est habillé d'un marinière aux rayures horizontales, figures de plaisir et de jouissance tandis qu'Henri est muni d'une veste aux rayures verticales qui se réfèrent à l'ordre.

Néanmoins, il ne porte sa veste que sur ces épaules, comme s'il voulait éviter d'être contaminé par ce semblant de discipline...

Henri et Rodolphe

6. Le rossignol

L'intervention du rossignol dans la nouvelle de Maupassant est plus ambigu qu'il n'y parait.

Le chant du rossignol exprime l'érotisme de la situation, le chant du séducteur qui cherche à attirer sa femelle.

Mais il ne faut pas oublier que dans la mythologie et la littérature, le rossignol, que l'on entend principalement la nuit, symbolise tristesse et nostalgie.

Ainsi, dans la mythologie grecque, Philomèle se venge de son violeur en lui faisant dévorer son propre enfant, avant de se métamorphoser en rossignol...

Au fur et à mesure que l'image se rapproche du rossignol (via un raccord dans l'axe), le cadre se resserre également sur les deux amants (31:32 ; 32:20).

A la vue du rossignol, avant l'étreinte avec Henri, Henriette écrase déjà une première larme, source de bien des interprétations (Note 6).


Une première larme

7. La larme

A l'instar de la séquence de la balançoire, l'image de la larme d'Henriette, filmée en gros plan face caméra, est devenu un classique du 7ème art.

Partie de campagne // Regard caméra

Cette scène brise un tabou du cinéma en permettant au personnage de fixer la caméra, ce qui était exceptionnel pour l'époque (Note 7).

A partir de cette simple image, le film bascule définitivement de la comédie, aux limites du burlesque (l'analogie entre les personnages de M. Dufour et Anatole et de Laurel et Hardy est évidente), vers le drame.

Cette transgression de la frontière entre le spectateur et le spectacle a eu une influence énorme sur le cinéma mondial.

Bergman utilise le même procédé dans Un été avec Monika qui raconte l'histoire d'une jeune femme destinée à un homme qu'elle ne désire pas. Avant de se soumettre à l'ordre social, elle passe  un fugace été de plaisir en compagnie de son amoureux (l'analogie scénaristique avec Partie de Campagne est assez claire).

Juste avant ce retour à la normale, la jeune héroïne nous administre ce regard caméra, à la fois rebelle et fataliste, comme pour interroger le spectateur sur sa part de responsabilité dans son abdication.



De même, à la fin des 400 Coups de François Truffaut, le regard lourd de questionnement moral d'Antoine Doinel, qui vient de s'échapper d'un centre pour mineurs délinquants, se plante dans les yeux du spectateur.




On peut s'interroger sur l'origine de cette deuxième larme, après celle du rossignol.

La larme exprime-t-elle une joie liée à la découverte de la puissance de l'orgasme ou au contraire la tristesse d'Henriette face à l'évanescence du plaisir, au présentiment de l'ennui de la vie à venir avec Anatole?

Une autre interprétation possible, plus répandue dans les milieux anglo-saxons, est celle de la souffrance, de la capitulation face au viol.

Le travelling arrière sur la rivière, transpercée de toute part par l'orage, qui succède au plan de la larme, semble répondre à cette question.

Ce travelling, pendant symétrique du début du film, suggère qu'après la découverte du plaisir et la transgression de l'ordre social avec Henri, la vie d'Henriette ne sera qu'un retour en arrière, une régression vers l'ennui du confort bourgeois.

C'est aussi ce que semble suggérer l'entrevue finale entre les deux amants, irrémédiablement séparés par des champs/contrechamps.

Vie au conditionnel, passé définitif.


Notes :

Note 1 : Jean Renoir parle de son film.

Son rapport à Maupassant, la question de la liberté dans l'adaptation et le plagiat, le rôle du hasard dans le tournage.




Note 2 : Le personnage de l'aubergiste n'existe pas dans le texte original de Maupassant. 
Sa fonction est plus symbolique que narrative : c'est un incitateur au plaisir des deux canotiers, comme le décrit la critique du Ciné-Club de Caen.


Note 3 : Tout un blog est consacré à Partie de campagne par le collectif La Sagesse de l'image
Chaque image y est âprement débattue par les contributeurs, illustrant la profondeur du film de Renoir.


Note 4 : Je recommande à cet égard la visite du site de l'artiste vidéaste Laurent Fiévet qui explore dans son oeuvre Swing High, Swing Low la figure de la balançoire au cinéma à travers une quarantaine de montages.

Note 5 : Le Ciné-club de Caen détaille les multiples références de Partie de campagne à la peinture impressionniste en juxtaposant des scènes du film et des peintures de Jean-Auguste Renoir.

Note 6 : à ce sujet, on trouve ici une contribution utile sur ces plans rapprochés par le Centre National de Documentation Pédagogique : Plans rapprochés.

Note 7 : Tout sur le regard caméra, doctement expliqué par le site Transmettre le cinéma.



NDLR :
Cet article résume la passionnante intervention de Laurent Jullier suite à la diffusion de Partie de Campagne à la Cinémathèque de Luxembourg, dans le cadre de sa conférence Qu'est ce que le langage du cinéma?leçon inaugurale du cycle Du Travelling au MacGuffin - Tout le langage du cinéma en 10 leçons de l'Université Populaire du Cinéma.


samedi 26 janvier 2013

Beaux Arts Trio plays Dvorak "Dumky" Trio, i

Tout le langage du cinéma : Qu'est ce que le langage du cinéma? (Leçon 0)


Partie de Campagne


Qu'est ce que le langage du cinéma?

Par Laurent Jullier (professeur d'études cinématographiques, Université Nancy 2 et Paris III)) Ciné-conférence ponctuée d'extraits de films | en langue française |   60' 

Cinémathèque du Luxembourg

22 octobre 2012

Cette conférence constitue la leçon inaugurale du cycle Du Travelling au MacGuffin - Tout le langage du cinéma en 10 leçons d
e l'Université Populaire du Cinéma.





Le langage cinématographique existe-t-il?

Est-il encadré par une grammaire, une syntaxe, s'organise-t-il comme un langage verbal?

Si oui, peut-on commettre des fautes de grammaire au cinéma?


Le langage cinématographique : une syntaxe spécifique

Eisenstein comme Pasolini pensait effectivement qu'on pouvait rapprocher les images des mots.

Quand on les associe, on obtient des phrases.

Il est vrai qu'au cinéma comme dans le langage, la somme du tout est supérieure au simple ajout de ses parties.

Par le biais du montage, le cinéma fait se succéder les images et construit ainsi son langage.

Par exemple, la scène d'ouverture Indiana Jones et l'Arche Perdue, s'ouvre dans un mouvement de shot / reaction shot typiquement spielbergien en faisant se succéder d'abord les yeux horrifiés de l'aventurier puis la boule de pierre menaçant de l'aplatir.

The Rolling Boulder - Raiders of the Lost Ark
— MOVIECLIPS.com


Indiana Jones se sauve "car" il est menacé d'être aplati par la boule.
Le "car" est dans la conjonction des deux images.

Spielberg a l'habitude de montrer dans ses films la réaction de ses personnages puis seulement ensuite l'évènement à l'origine de leur réaction.

Néanmoins, dans cette scène, les images peuvent être inversées tout en gardant leur signification, ce qui n'est pas possible en terme de syntaxe (on mange une pomme / une pomme me mange).

Le langage cinématographique est défini par les infinies variétés de mouvements du corps dans l'espace.

On comprend ce que signifie le plan à l'instinct.

Cela ne s'apprend pas comme on apprend une langue, une grammaire, une syntaxe.


Cadre et regard

Ce qui nous est donné à voir dans le cadre de l'écran a déjà une signification particulière.

Surtout si ces images reflètent ce qui est vu au travers des yeux du personnage.


Ainsi, dans la comédie musicale La Blonde et Moi (The Girl Can't Help It, 1956), la première apparition de l'héroïne, Jayne Mansfield, est figurée par un champ / contrechamp.

Dans le champ, on découvre Tom Ewell vu par Jayne Mansfield  dans un plan "Over the shoulder the shot".

Les deux acteurs sont visibles ensemble dans l'image, ce qui suggère que Jayne Mansfield se figure bien en couple avec Tom Ewell.

Tom Ewell et Jayne Mansfield / La Blonde et moi


En revanche, lorsque l'on passe au contrechamp, on ne voit plus que l'héroïne, à travers les yeux de Tom Ewell.

Jayne Mansfield : La Blonde et moi


Elle est certes superbe, mais elle figure seule à l'image ce qui indique que Tom Ewell ne peut s'imaginer vraiment en couple avec elle, ce que le film confirmera par la suite.


La même asymétrie dans le regard s'observe dans l'ouverture de The Mask.



Lorsque Cameron Diaz croise pour la première fois les yeux de Jim Carey, on ne voit qu'elle (même le décor autour de son visage est noyé dans le flou).

Par contre, l'héroïne se voit bien avec le héros masqué.
Elle s'imagine même vieillir avec lui comme le montre le couple de personnes âgées au second plan (51ème seconde de l'extrait).
La tentation du coffre fort, objet de convoitise de The Mask, est également figurée dans le même plan.


Comparaisons et métaphores

Eisenstein voulait convaincre le public d'une idée.

Pour ce faire, il utilisait des comparaisons et des métaphores.

Ainsi de la classique ouverture des Temps Modernes de Chaplin : au passage d'un troupeau de moutons succède une foule d'ouvriers sortant du métro pour rejoindre l'usine.

Les Temps Modernes / Les moutons


Les Temps Modernes / Les ouvriers


Comparaison un peu lourde quoique plus subtile qu'il n'y parait puisque Chaplin a dissimulé au milieu du troupeau un mouton noir symbolisant la figure anarchiste de Charlot...


A travers cette métaphore, on comprend que le cinéma est un langage contextuel.
Dans un autre contexte, les moutons pourraient signifier toute autre chose.

La disposition d'objets ou de personnes métaphoriques dans les plans est une constante du cinéma pour mettre le spectateur en état cognitif.


La technique au service du langage

N'oublions pas que le cinéma est affaire d'industrie, de technique et de technologie.

Bien avant la révolution numérique, le langage cinématographique a pu s'appuyer sur les multiples possibilités offertes par la caméra pour souligner ces effets.


Dans West Side Story, version moderne de Romé et Juliette, les futurs amants se découvrent lors d'un bal et tout devient flou autour d'eux.




Ce plan est totalement artificiel, voire anti-intuitif.

L'utilisation de ce type de technique au cinéma est assez rare, les réalisateurs préférant faire appel à des procédés plus naturels.

Par exemple, dans Macadam Cowboy (1969), Schlesinger utilise un détail pour identifier le personnage de Jon Voight : on parvient à distinguer le cow-boy simplement à l'aide de son chapeau noir au milieu de la foule. 

Jon Voight au chapeau noir au milieu de la foule / Macadam Cowboy


En utilisant la technique ou le détail pour développer un langage, le cinéma poursuit l'héritage des arts anciens et notamment de la peinture.

On peut établir une analogie entre le flou du cinéma et le non finito (manque volontaire de contours et d'harmonie apparente) de la peinture.
Cette technique est par exemple utilisée dans le tableau La jeune maîtresse d'école de Chardin sur le visage de l'enfant qui apprend.

La jeune maîtresse d'école / Chardin

Dans le Portrait de Monsieur Bertin, Ingres critique subtilement son modèle en faisant tomber la lumière  sur les mains du grand bourgeois de façon à effiler le bout des doigts qui finissent par ressembler aux serres d'un aigle. La technique permet de dénoncer la rapacité des notables de la Restauration.

Le Portrait de Monsieur Bertin / Ingres

Norma / Sunset Boulevard

Une technique semblable est utilisée par Billy Wilder dans Sunset Boulevard pour illustrer, au travers de ses mains crispées, la convoitise démente de Norma prête à fondre sur son amant.


Dans Carrie au Bal du Diable, au contraire, le réalisateur figure dans un même plan et sans flou la jeune Carrie, paria tapie au fond de la classe, avec le capitaine de l'équipe de foot siégeant au premier rang.

Carrie et le capitaine de foot

Dans la réalité, l'image de Carrie devrait être floue. Cette image produite à l'aide d'un objectif à double foyer (ou double focale), trahi par le léger flou sur les cheveux du jeune homme,  illustre l'attachement contre-nature des deux personnages (1).


La technique permet également de contourner les problème éthiques de figuration.

Ainsi, pour représenter les Camps de la Mort dans La Passagère (1963), le réalisateur envisageait initialement de recruter des acteurs malingres.
L'idée n'étant pas très élégante et s'assimilant au comportement des bourreaux nazis, on choisit d'utiliser un procédé technique : en retirant la lentille du cinémascope, on parvient à effiler les corps des figurants.





La puissance du langage du cinéma apparaît dans l'ouverture du film Two for the Seesaw (1962) qui parvient à contenir dans un plan des indications contradictoires par la technique et la métaphore.

Robert Mitchum, tout juste séparé de sa femme, marche sur New York sur un pont suspendu (à partir de la 20ème seconde de l'extrait).

Le plan est filmé avec un grand angle suggérant de grandes perspectives : le héros est libre, toutes les possibilités lui sont ouvertes, New York est à lui.

En même temps, il marche sur un chemin très étroit et il est encerclé par les cables du pont comme autant de barreaux.

En réalité son chemin est balisé : il n'aura de cesse que de reconquérir le coeur de son épouse.




En combinaison avec la technique ou le détail, la métaphore joue un rôle majeur dans le langage du cinéma, comme le montre les extraits suivants :

- Dans la première séquence suivant le générique des Temps Modernes, Chaplin filme une horde de moutons (métaphore) en plongée (technique) pour illustrer la domination subie par les ouvriers (à partir de la 18ème seconde sur l'extrait suivant).
Au milieu de la horde, on peut apercevoir un mouton noir, référence à Charlot.

Puis Chaplin utilise un fondu enchaîné pour montrer les travailleurs.




Il faut souligner qu'au cinéma, art dynamique, la comparaison (la juxtaposition statique de deux images sur un même plan) n'existe pas.
On juxtapose deux plans pour obtenir le même effet (moutons = travailleurs), renforcé par un même thème musical.


- Abel Gance dans son Napoléon utilise la métaphore de la Méditerranée déchaînée (pendant le retour du général de sa Campagne d'Egypte) pour renforcer l'impression de tempête politique à l'Assemblée Nationale.

Les perruques blanches figurent l'écume.

La technique est toujours présente : flux et reflux entre les images au montage, le mouvement hiératique de la caméra proche du "filmé sur l'épaule", très novateur pour l'époque, accroît encore l'effet de chaos.


- L'extrait le plus célèbre de La Grève d'Eisenstein contient de multiples métaphores : l'encre souillant le plan sur le bureau (cf film : 1h 15mn 56) illustre le sang des ouvriers réprimés en relation avec les mains sales du commissaire tsariste.



La juxtaposition avec le plan sur les vaches tuées en abattoir (cf film : 1h 16mn 25) est très audacieux pour l'époque.

Le cinéma plus ancien se contentait de figurer la réalité, le spectateur restait seul maître du sens.

En employant un langage sophistiqué, le cinéma moderne développe sa puissance cognitive et émotionnelle mais réclame un effort supplémentaire du spectateur.


- Dans la Passion de Jeanne d'Arc de Dreyer, le supplice n'est pas montré explicitement, il n'est que suggérée par l'image des mécanismes et des instruments de torture (à partir de la 40ème seconde de l'extrait).




Le visage de Jeanne est filmé en gros plan car elle n'a pas de vision d'ensemble du plan qui se referme sur elle.
On ne nous montre que ce qu'elle peut voir avec ses yeux.


- Le surréalisme de Zazie dans le Métro est illustré dans la scène où la jeune fille apparaît successivement à gauche puis à droite de son père, dans un mouvement physiquement impossible.



- Lorsque X rentre chez elle, au regard du personnage de Bertrand Blier succède le lait qui déborde de la casserole (13 mn 56), symbole du désir.




La métaphore n'est certes pas très légère mais elle est soulignée par la technique d'un travelling avant, plus adapté pour représenter l'élan physique (puisque c'est la caméra qui s'avance pour grossir le sujet) que le simple zoom.

L'artifice du zoom (avant) est plus approprié pour figurer le désir inassouvi car on ne s'avance pas réellement vers le sujet. Le procédé est ainsi massivement utilisé par Visconti dans Mort à Venise pour mettre en scène le désir violent, mais inaccessible, du compositeur pour le jeune Tadzio (2).


- Tout en n'ayant l'air de rien dire, le langage du cinéma peut tout signifier comme dans cette séquence de Mon Oncle de Jacques Tati dénonçant l'absurdité d'une certaine architecture contemporaine : l'enfant expulsé en lisière de la maison, les bruits amplifiés des talons sur le sol glacial, la réaction de la voisine s'asseyant sur un sofa manifestement inconfortable, jusqu'à la phrase involontairement ironique de la maîtresse de maison ("Tout communique dans la maison", bien que personne n'y communique)...




Ressources :


(2) Lire à ce propos l'instructive critique de Mort à Venise sur le site des Inrocks.

En complément de cette note je recommande l'excellente page Suggérer / Comparer / Associer du Site Image.

Note du conférencier :


« Si le cinéma était un langage, on pourrait l'apprendre ; il y aurait des manuels de grammaire et les cinéastes commettraient parfois l'équivalent des fautes d'orthographe… Mais les images que l'on prend à l'aide d'une caméra ressemblent en général un peu trop au monde qui nous entoure pour faire office de symboles régis par des règles strictes. Et chaque fois que quelqu'un a tenté d'écrire une grammaire cinématographique, il s'est heurté à la tendance obstinée des images de cinéma  à n'en faire qu'à leur tête, c'est-à-dire à vouloir dire des tas d'autres choses que celles qu'elles étaient censées dire selon les règles prévues à cet effet… Est-ce à dire qu'il n'y a pas de langage cinématographique ? Tout un chacun a pourtant l'impression de « comprendre » certains enchaînements de figures, sur l'écran, articulés comme les mots d'une phrase… Alors ? Eh bien la réponse est à la fois oui et non…

Pour illustrer la discussion, l'exemple choisi sera Partie de campagne, un moyen-métrage que Jean Renoir tourna en 1936, d'après Maupassant, avec l'intention d'en faire un long-métrage, mais que diverses avanies l'empêchèrent de terminer. Remonté en 1946 sur la base des fragments tournés dix ans plus tôt, ce film illustre bien l'idée des 'plus petits éléments de langage' (mots écrits ou plans du cinéma) qui prennent des sens différents selon la façon dont on les combine et les recombine. » (Laurent Jullier)